Savoir/Agir dans Le Monde
Le Monde daté des 19 et 20 septembre 2010 a publié une note de lecture sur le numéro 12 de la revue, sous la plume de Nicolas Truong :
Recherche, transports, retraite : la lutte sociale discontinue
Par temps de grandes grèves syndicales, il n’est pas inintéressant de regarder ce que la recherche engagée produit comme enquêtes approfondies sur les luttes sociales. Car à l’heure de la précarisation des conditions, les actions et conflits salariaux ne se limitent pas aux grands raouts et seules manifestations. Ainsi la revue trimestrielle Savoir/Agir qui, depuis 2007, articule analyses sociologiques et actions politiques, a-t-elle consacré son dossier aux " Luttes au travail " qui ont fait la " une " de l’actualité comme à celles qui ont été moins médiatisées.
Revendication des travailleurs sans papiers, actions répétées des producteurs de lait, conflit des " Total " ou des " Conti " (ouvriers de l’usine Continental à Clairoix, dans l’Oise)... La " logique du zoom " prévaut, expliquent Annie Collovald, Nathalie Ethuin et Laurent Willemez, coordinateurs du dossier. Focalisée sur des exemples concrets, la revue dirigée par le sociologue Frédéric Lebaron cherche en effet à comprendre les éléments qui favorisent ou défavorisent l’action collective, l’échec ou le succès d’une grève.
Ainsi le sociologue Bertrand Geay revient-il sur la mobilisation des personnels de l’enseignement et de la recherche des universités françaises en 2009. Car cette lutte " exceptionnelle " par son ampleur continue d’interroger. Pourquoi fut-elle si vaste, englobant des disciplines rarement aussi mobilisées, comme le droit ou la littérature ? Mais pourquoi aussi, a-t-elle, in fine, échoué ?
Les raisons du succès sont assez connues : réformes controversées, convergences syndicales, attitude présidentielle vécue comme hostile au monde du savoir, etc.
Faire preuve de solidarité
Mais l’auteur insiste sur le fait que la mobilisation surgit parce que le gouvernement s’est attaqué à ce qu’il y avait " de plus précieux " à l’université, à savoir " la collégialité et l’indépendance des personnels ", remises en cause par le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs. Au final, les raisons du succès sont peut-être aussi celles de l’échec, car nombre d’étudiants ont bien observé le " caractère tardif " de la mobilisation des professeurs, qui fut déjà modeste un an plus tôt, contre la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU) et ne prit réellement effet qu’à partir du moment où leur statut était en jeu, constate Bertrand Geay.
Ainsi invite-t-il ses collègues à sortir des " routines syndicales " et à faire preuve de solidarité dans un univers fortement hiérarchisé, avec un clivage entre précaires et statutaires, degrés et matières, et où la recherche scientifique est souvent régie par des " logiques de distinctions individuelles ".
Adapter les solidarités aux nouvelles conditions de travail loin des parcours balisés, c’est bien le défi auquel les principales centrales syndicales sont confrontées. Face à la généralisation de la précarité, les intérimaires cherchent toujours, depuis la reconnaissance de leur liberté syndicale en 1972, les moyens de se mobiliser, explique le sociologue Sébastien Grollier. A leur égard, les syndicats oscillent souvent entre défense et distance, notamment parce que leur départ est souvent un préalable aux négociations pour le maintien d’un site de production.
Les luttes continuent donc, en dépit du service minimum dans les transports publics (Sophie Béroud, Baptiste Giraud). Mais à l’image de la société, de façon fractionnée et en ordre dispersé. Malgré ces difficultés relatées, ce numéro témoigne toutefois d’un " appétit " pour le reportage social qui a, selon la journaliste Florence Aubenas, longuement interrogée par la revue, perdu de sa " noblesse " au sein des rédactions.
Nicolas Truong
Savoir/Agir, Luttes au travail, Éditions du Croquant, 138 pages, 15 €
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