Denis MacShane et le dispositif d’influence néo-travailliste en France

lundi 7 mars 2011
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Introduction

Denis MacShane, né Denis Matyjaszek en Écosse en 1948 d’une mère écossaise et d’un père polonais réfugié en Grande-Bretagne, est un personnage central du dispositif d’influence néo-travailliste en Europe, et en particulier en France. Son cas est intéressant pour ce qui nous concerne ici, dans un colloque sur les dispositifs anti-syndicaux, puisque son passé de militant syndical lui donne une légitimité symbolique sur les questions syndicales, entre autres, que ne possèdent pas nécessairement d’autres intervenants néo-travaillistes. En effet, après des études plutôt médiocres à l’Université d’Oxford, MacShane est devenu journaliste à la BBC (1969-1977), et s’est lancé dans le syndicalisme. Il est devenu très rapidement (en 1978 à l’age de 30 ans) le plus jeune Président du Syndicat National des Journalistes britanniques et adoptait à l’époque une posture très militante : il a été arrêté, par exemple, lors des piquets de grève autour de l’entreprise Grunwick en 1977. Faute de retrouver un travail de journaliste (après avoir été licencié par la BBC) il s’est tourné vers le syndicalisme international et a passé douze ans, de 1980 à 1992, à Genève en tant que Directeur de communication au sein de la Fédération Internationale des Organisations des travailleurs de la Métallurgie. Pendant cette période, il a écrit abondamment sur le mouvement syndical, en particulier en Afrique du Sud, encore sous le joug de l’apartheid et en Pologne : il a activement aidé le syndicat Solidarité en tant que syndicat d’opposition au pouvoir communiste et a été arrêté et expulsé de Pologne en 1982 pour ses peines. Après plusieurs tentatives infructueuses d’obtenir un poste de permanent au parti travailliste (il a essayé d’obtenir celui de directeur de la communication en 1984 mais a été battu par Peter Mandelson) ou de se faire sélectionner comme candidat travailliste aux élections législatives, il est enfin entré au parlement britannique en 1994, lors d’une élection partielle dans la ville de Rotherham, à l’âge relativement tardif de 46 ans. Dès la victoire néo-travailliste en 1997, il a occupé un poste subalterne au sein du Ministère des Affaires Étrangères. Il est devenu Ministre des Affaires Européennes (Minister of State for Europe) dans le deuxième gouvernement de Blair et a occupé ce poste de 2002 à 2005 : il n’a pas été repris par Blair dans la nouvelle équipe gouvernementale après les élections législatives de 2005.

par Keith Dixon

S’il mobilise moins de capital politique que Peter Mandelson - également très présent dans les débats français, surtout pendant son temps comme commissaire européen – et a moins de poids intellectuel que Anthony Giddens, régulièrement invité à s’exprimer dans les mêmes espaces que lui, MacShane a pour lui une très grande disponibilité (il se rend souvent dans les autres pays d’Europe, même depuis qu’il est redevenu député de base), une bonne connaissance de plusieurs langues européennes, un réseau de contacts dans le monde médiatique et politique français, une réputation - pas toujours méritée - de bien connaître l’histoire et la culture françaises (il est, entre autres, l’auteur d’une biographie de François Mitterrand), et surtout un grand savoir-faire dans l’utilisation des médias. Son premier livre, publié en 1979, s’intitulait d’ailleurs, Using the media. How to deal with the press, television and radio. Son activité politique est au ralenti ces derniers temps puisqu’il est accusé de malversations en tant que membre du parlement britannique, son cas étant l’objet d’une investigation par la police londonienne, et de ce fait il est suspendu du parti travailliste en attendant les résultats de l’enquête. Ceci étant dit, ses dernières interventions en France ou sur la France sont de fraîche date, puisqu’il était, comme à son habitude, invité au Forum organisé par Libération et le think tank socialiste , Terra Nova, à Lyon du 25 au 27 septembre 2010, et il a capté l’attention des médias en écrivant un article très remarqué dans le numéro du 5 octobre de Newsweek, où il s’en prend à Sarkozy et à la droite française sur la question de la xénophobie anti-Roms.

Le cas de MacShane est intéressant pour une deuxième raison, de notre point de vue, puisque ses états de service néo-travaillistes sont impeccables ; il est en quelque sorte un cas d’école. Lorsqu’on examine son comportement de vote au parlement britannique depuis 1997, on constate que sur la totalité des questions clivées – c’est-à-dire où il y a eu conflit entre droite et gauche travaillistes - MacShane se trouve du côté du gouvernement. C’est le cas, par exemple, pour le vote sur la semi-privatisation du système hospitalier par le biais des foundation hospitals, sur l’introduction d’une carte d’identité nationale, sur le durcissement des lois d’asile politique ou, dans le domaine des affaires étrangères, sur l’intervention en Iraq. Qui plus est, lors de ses interventions écrites et orales à l’étranger, il porte le message néo-travailliste dans une version très peu édulcorée et qui ne fait aucune concession à la transposition inter-culturelle. Il exprime ainsi le virage néolibéral blairiste sans fioritures, bien que parfois dans une version un peu caricaturale.

Le néo-travaillisme, une forme d’anti-syndicalisme ?

Avant d’aller plus en avant dans cette discussion, il faudrait peut-être un bref éclaircissement sur les rapports éventuels entre le néo-travaillisme et les dispositifs et discours anti-syndicaux. Il peut en effet sembler quelque peu paradoxal, voire outrancier, d’associer le parti travailliste et un des se élus les plus connus en France, à l’anti-syndicalisme, surtout après le bref rappel de l’activité syndicale de MacShane que je viens de faire. Après tout, d’un point de vue historique le parti travailliste est étroitement lié au mouvement syndical de son pays : ce sont les syndicats qui en 1899 se sont donné comme objectif la création d’un comité de représentation du monde du travail au sein du parlement britannique (Labour Representation Committee) et qui de ce fait sont les fondateurs essentiels de ce qui va devenir en 1906 le parti travailliste. Ce sont les syndicats qui portent le parti travailliste à bout de bras du point de vue financier depuis sa création, et c’est le cas encore aujourd’hui malgré les tentatives blairistes de substituer des dons individuels aux cotisations politiques des syndicats. Les syndicats continuent à peser sur le processus décisionnel travailliste, là encore malgré les tentatives récentes de les écarter des centres de décision : l’élection d’Ed Miliband - surnommé Ed le Rouge par la presse anglaise, sans doute de manière humoristique - est mise en avant par les observateurs du travaillisme britannique pour démontrer un certain retour de l’influence syndicale. Comment donc, dans ces conditions, associer le parti travailliste à un quelconque dispositif anti-syndical ?

Un tel postulat est impossible à comprendre sans un bref retour en arrière dans l’histoire travailliste récente. En effet, nous pouvons constater (avec Colin Hay, fin observateur du mouvement travailliste) à partir de 1983, lors de sa défaite historique aux élections législatives de cette année par le parti conservateur de Margaret Thatcher et la défection massive de ses électeurs vers le nouveau parti social démocrate en alliance avec le parti libéral, une mue du travaillisme britannique, ou tout au moins de la direction du parti, qui le conduit à s’accommoder de plus en plus ouvertement des nouvelles règles de gestion économique et sociale introduites par Thatcher. De ce fait, le nouveau réalisme de Kinnock et plus encore le nouveau travaillisme de Blair (qui arrive à la tête du parti en 1994), sont porteurs, qu’il le veuillent ou non, d’une idéologie anti-syndicale (ou tout au moins d’une idéologie qui s’oppose au pouvoir syndical et au rôle des syndicats tels que ceux ci se sont développés au cours du XXe siècle en Grande-Bretagne). La modernisation voulue par les blairistes se traduit par un ralliement à l’économie de marché telle qu’elle s’est développée en Grande-Bretagne, c’est-à-dire sous une forme particulièrement aggressive, avec comme pièce centrale du dispositif la flexibilité du marché du travail. Cette dernière a été pendant la décennie blairiste l’objet d’une adulation de la part des dirigeants néo-travaillistes et considérée comme la clé de voûte d’un dynamisme économique retrouvé après des décennies de déclin relatif. Cette stratégie d’accommodement (pour reprendre l’expression de Hay) a conduit la direction travailliste à accepter peu à peu le nouveau carcan juridique imposé aux syndicats par une batterie de lois votées sous Thatcher et Major, et de ce fait à réviser de fond en comble la vision travailliste du rôle des syndicats .

Dans ce sens l’on peut considérer le néo-travaillisme "modernisateur" de Blair, Brown (et MacShane) comme relevant d’une stratégie d’affaiblissement durable du syndicalisme de lutte (ou de tout syndicalisme qui considère que les intérêts des salariés ne convergent pas avec ceux des employeurs) – syndicalisme appréhendé désormais chez les principaux acteurs du néo-travaillisme comme une entrave au "dynamisme économique". Mais on aurait tort de voir là la simple volonté blairiste de revenir au "pacte social" du consensus d’après guerre, où syndicats et employeurs britanniques acceptaient, bon an mal an, au moins implicitement, un compromis historique autour de l’État social et de l’économie mixte. Ainsi, il nous semble que la récente analyse d’Asbjorn Wahl passe à côté des réalités britanniques : en effet, Wahl voit dans le comportement de certains partis sociaux démocrates et de leurs relais syndicaux une mésestimation de la nouvelle phase offensive du capitalisme transnational, un retard en quelque sorte à l’allumage. Mais dans la vision blairiste - qui fait fortement écho aux position hayékiennes, sans que Blair soit nécessairement un grand lecteur du philosophe autrichien – la vision du syndicalisme est autrement plus restrictive. Les syndicats y sont appelés à fonctionner comme les co-bâtisseurs de la paix sociale des entreprises britanniques, à en améliorer la productivité et la compétitivité et à accompagner les projets gouvernementaux de transformation managériale des services publics ; quand ils refusent de jouer ce rôle précis de relais idéologique du néo-travaillisme ils sont vilipendés et activement combattus.

La diffusion du modèle thatchéro-blairiste en France

Les néo-travaillistes une fois arrivés au pouvoir en 1997 seront très soucieux de l’exportation de ce modèle thatchéro-blairiste de gestion économique et sociale au moins au sein de l’espace européen : nous avons dessiné les contours de cette exportation dans La Mule de Troie (2003) et Un Abécédaire du Blairisme (2005). La mise en place d’un réseau d’influence en Europe pendant la décennie blairiste (1997-2007) est assez impressionnante. Les néo-travaillistes ont pu disposer en France comme ailleurs, de leviers conséquents surtout au sein des champs politique et médiatique, et dans une moindre mesure au sein du champ intellectuel, auprès de ceux et de celles qui se voient comme porteurs d’un projet "modernisateur". Si Giddens a pu un temps séduire une partie de la gauche intellectuelle regroupée au sein des think tanks de la mouvance socialiste (ceux qui ont poussé sur la tombe de la Fondation St Simon) et Blair et Mandelson trouver un accueil chez des politiciens de divers bords, MacShane est surtout acteur dans le champ médiatique, jouant le rôle de voiture balai (et parfois de bouffon) derrière les ténors, Blair et Mandelson, et exprimant dans un langage souvent très peu policé, ce que les autres dirigeants néo-travaillistes ont tendance à exprimer par euphémisation.

De par sa nature (néolibéral mais se réclamant de la gauche) le néo-travaillisme blairiste a fait des adeptes sur l’ensemble de l’échiquier français, au moins jusqu’au début de la Guerre d’Iraq, qui a marqué le début d’un certain effritement parmi les soutiens publics au sein de la gauche institutionnelle. Si Jacques Delors, Martine Aubry, Ségolène Royal, Michel Charasse ou Jean-Marie Bockel (dans sa phase socialiste), entre autres, ont apporté avec plus ou moins de subtilité (plus chez Delors, moins chez Bockel) leur soutien au blairisme, surtout dans sa phase ascendante, cela a aussi été le cas à droite où le néolibéralisme "moderniste" de Blair a attiré la sympathie des rénovateurs auto-désignés. La plus grande réussite de Blair, de ce point de vue, a été sans doute d’avoir forgé une relation politique et amicale durable avec celui qui devait être le candidat victorieux de la droite française lors des élections présidentielles de 2007, Nicolas Sarkozy (qui est venu ainsi rejoindre Berlusconi et Aznar parmi les interlocuteurs européens préférés de Blair pendant sa décennie au pouvoir). Blair rendra bien l’admiration affichée par Sarkozy pour les "réformes" néo-travaillistes lors ces élections.

Cependant, c’est dans les médias français que les soutiens au blairisme, et donc les opportunités d’intervention néo-travailliste ont été et sont peut-être encore les plus nombreux. Il y a eu ce qui ressemble à un véritable engouement journalistique pour les prouesses supposées du gouvernement néo-travailliste d’Outre Manche. On n’a qu’à balayer la couverture médiatique récente de la publication de la traduction des mémoires de Blair et les invitations prestigieuses dont l’auteur a fait l’objet (grosse campagne de promotion à la FNAC ; invitations aux heures de grande écoute à France Inter, France Culture, Canal +, etc) pour mesurer la solidité de ce réseau d’accueil idéologique, encore aujourd’hui, et cela malgré la tournure qu’a prise la carrière politique de Blair depuis la guerre d’Irak, sa démission en 2007 et sa disgrâce relative dans son propre pays. La plupart de ceux et de celles qui occupent une place stratégique dans le paysage médiatique français ont, un jour ou un autre, rendu hommage au blairisme et rares sont ceux/celles qui en ont tenté une critique : du Grand Journal de Canal +, où Jean-Michel Aphatie n’a pas de mots assez beaux pour décrire cette gauche moderne à Nicolas Demorand qui lors d’un entretien récent avec François Hollande a rendu hommage au "formidable travail intellectuel" entrepris par les camarades néo-travaillistes pour mieux souligner l’immobilisme des socialistes français, en passant par Laurent Joffrin qui dans un éditorial sur la victoire des conservateurs aux dernières élections prédit que "nous" regretterons Tony Blair.

Dans ce contexte le travail d’intervention de MacShane a donc été largement facilité : il a accès depuis une dizaine d’années aux principaux organes de la presse quotidienne française, écrivant régulièrement dans les colonnes de Libération (où l’ancienne rubrique Rebonds lui a offert son hospitalité à plusieurs reprises), du Monde et du Figaro. MacShane a été invité aux trois derniers Forums organisés par Libération, à Grenoble, Rennes et Lyon. Il est souvent sollicité par les journalistes français en poste en Angleterre pour commenter l’actualité des deux côtés de la Manche (Christophe Boltanski en a d’ailleurs fait un portrait assez flatteur le 20 février 2003 lors de son séjour à Londres en tant qu’envoyé permanent de Libération). On ne compte plus ses interventions et interviews radiophoniques dans les grandes stations de radio françaises. Lors des grands moments politiques de la dernière décennie MacShane a été régulièrement invité pour donner son avis. Il est apparemment le politicien anglais le mieux connu et le plus sollicité des médias français.

Nous n’avons pas la place ici de donner une vue exhaustive des nombreuses interventions de MacShane en France. Nous rappellerons simplement celles qu’il a faites pendant quelques moments forts de l’histoire française récente : le débat national et le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005 ; le mouvement social contre le CPE en 2006 et l’élection présidentielle de 2007 – et nous en soulignerons l’architecture générale.

Sur le Traité Constitutionnel Européen, MacShane intervient en France comme en Grande-Bretagne pour fustiger les positions des partisans français du non et développer un argumentaire "pro-Européen et donc pro-TCE". Dans un article publié par le Figaro, le 2 mars 2005, il chante l’éloge du Traité et ne répond à aucun des arguments de ses adversaires, si ce n’est que pour dénoncer "(le) cynisme et (le) défaitisme que les opposants à l’Europe, de droite et de gauche, cherchent à diffuser". Au mois de mai, quelques jours avant le référendum français, il revient à la charge dans un article publié par The Independent où il s’en prend violemment à "l’immobilisme" de la France et de son Président (Chirac) : on y trouve l’évocation d’une France empêtrée dans ses archaïsmes, ses villes provinciales caractérisées par "le chômage de masse et la culture de la dépendance", ses quartiers où "5 millions de musulmans français vivent dans la misère" - une France "immobile, sans modernisation, sans direction claire et sans ambition.". Et, comme c’est souvent le cas dans ses interventions, il s’en prend aux intellectuels français "qui dans le passé avaient dominé le monde avec leurs idées et leurs écrits, mais ont tout simplement arrêté d’écrire des œuvres que les gens ont envie de lire." Pris dans son élan, il ajoute " D’ailleurs, beaucoup des meilleurs cerveaux français ont quitté la France pour travailler ailleurs – presque tous cherchant refuge dans les économies anglo-saxonnes maudites."

Lors du mouvement contre le Contrat Première Embauche (CPE) en 2006, MacShane a pris vigoureusement la défense du projet de la droite française au nom de la modernisation du marché du travail et de la nécessaire acceptation de la flexibilité. Comme c’est souvent le cas dans ses interventions, il a pris la Grande-Bretagne de Blair pour modèle, vantant ses réalisations en termes de créations d’emploi et de résorption du chômage des jeunes :

"La réalité est là : le chômage de masse s’installe chez les jeunes Français. Pourquoi ne pas examiner ce qui se passe en Espagne, dans les pays pays scandinaves, en Grande-Bretagne, au Canada et même aux États-Unis, puis décider quelles sont les meilleures options pour la France ? La flexibilité, à mon sens, est essentielle à la modernité".

Dans ce même débat organisé par L’Express, alors que la contestation battait son plein, MacShane s’est prononcé également contre les 35 heures (position qu’il réitère régulièrement depuis), rappelant sa position d’ancien syndicaliste et avouant qu’il avait eu tort dans le passé de se battre pour une réduction du temps de travail..

Lors des élections présidentielles françaises de 2007, le positionnement de MacShane a été on ne peut plus clair : dans un article intitulé "Sarkozy sera mieux pour la Grande-Bretagne de Gordon Brown" publié par The Observer le 29 avril 2007, MacShane décrit Royal comme la repésentante de la vieille gauche – "Son langage est celui des travaillistes des années 80, anti-américain, anti-européen, hostile à une économie mondiale ouverte". Il insiste sur les ambiguités de Royal concernant le conflit du Moyen Orient, son refus de venir rencontrer les dirigeants travaillistes britanniques et et sa proximité envers des politiciens de la gauche de la gauche – Jean-Pierre Chevènement et Tony Benn. Sarkozy est présenté comme le plus européen, le plus pro-britannique et le plus blairiste de deux candidats :

"Dans son livre, Témoignages, Sarkozy défend l’idée que pour emprunter la voie royale vers la croissance et la création d’emplois et pour rattraper la performance économique britannique la politique économique internationale de la France devrait devenir plus blairiste" affirme MacShane.

Il propose un "tandem Brown-Sarkozy" qui "offre la perspective d’une Europe dotée d’une nouvelle politique étrangère qui sera à la fois cohérente et efficace après les divisions désastreuses et les rancoeurs personnels de ces dernières années".

Depuis la crise financière qui a fait voler en éclats le "modèle anglo-américain" si assidument vendu par MacShane, ce dernier ne se lasse pourtant pas d’intervenir toujours dans le même sens dans les débats français, et apparemment ses interlocuteurs français ne se lassent toujours pas de l’entendre. La crise ne lui a fait même pas mal. Opposition nouveau monde/traditions archaïques (surtout de la gauche) ; éloge des prouesses d’adaptation du capitalisme et des nouvelles libertés générées partout dans le monde par le libéralisme économique ; défense du bilan économique et social de la décennie blairiste ; opposition frontale à la gauche de la gauche (surtout française) souvent assimilée à l’extrême droite ; rejet des intellectuels – surtout de gauche (il avait écrit dans Le Figaro en novembre 2007 : "... en France, les syndicats et les intellectuels de gauche opposent à toute tentative d’expliquer aux Français les ressorts d’une économie moderne un refus obtus de s’extraire des présupposés idéologiques dépassés") ) ; dénonciation du corporatisme, surtout chez les syndicats de fonctionnaires (dans un article récent il semble être favorable à l’interdiction du droit de grève chez ces derniers) ; éloge des clauses de non-recours à la grève, de la flexibilité et du dumping social (ça crée des emplois en Roumanie !) ; défense des fonds de pension ; MacShane se bat sur tous les fronts.

Mais, et c’est là où je voulais en venir, peut-être bien pour rien, ou presque. On est quand-même obligé de constater que le dispositif d’influence néo-travailliste, quels que soient ses supports prestigieux, de la Maison de Radio France aux principaux quotidiens français, de la fine fleur des think tanks modernisateurs (Terra Nova, Républiques des Idées, Policy Network, qui ouvrent tous leurs bras à MacShane) aux commentateurs médiatiques les plus en vue, n’a pas porté les fruits escomptés. Le blairisme n’a pas pris en France, là où MacShane et ses donneurs d’ordre l’espéraient, id est dans les partis de la "gauche modérée". Ceci explique sans doute la décision du seul vrai blairiste du PS (tout au moins le seul auto-proclamé tel quel), Jean-Marie Bockel, de passer l’arme à droite. Le constat doit être amer pour ceux et celles qui se sont donnés tant de peine : après dix ans de battage médiatique, la référence au modèle britannique n’est pas devenu un créneau vendeur au sein de la gauche institutionnelle. La preuve en serait simple : quel candidat à la candidature socialiste aux prochaines élections présidentielles oserait se réclamer du blairisme ? Le "surmoi marxiste de la gauche française" ou, formulé autrement, le poids symbolique du mouvement social en France ont encore de beaux jours devant eux.

On peut postuler que l’influence – car il s’agit bien ici de la question clé de l’influence - c’est la rencontre entre une idée forte et un contexte. On pense, par exemple, à l’influence des think tanks néolibéraux anglo-américains dans le contexte de la crise du modèle de gestion keynésien des années soixante-dix. Or, le blairisme n’a jamais été une idée forte – plutôt une simple reprise de l’idée thatchérienne, moins les coups de crosse (et encore). Et le contexte politique en France continue à constituer (pour combien de temps encore ?) un terrain aride pour le néolibéralisme, même repeint aux couleurs de la gauche moderne, comme le mouvement social de cet automne de défense des retraites nous l’a rappelé.


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